Concurrence déloyale et préjudice indemnisable

Le préjudice indemnisable peut aussi résulter de l’enrichissement indu du concurrent déloyal

Telle est la solution retenue par la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt n°17-31614 du 12 février 2020 qui est appelé à la plus large diffusion (P.B.R.I) ce qui démontre ainsi son importance pour la Haute juridiction.

En matière de préjudice résultant d’une concurrence déloyale, que celle-ci procède d’une pratique de dénigrement, de parasitisme, de non-respect des règles commerciales impératives ou encore de tromperie à l’égard du public, la jurisprudence de la Cour de cassation est constante et repose sur la formule consacrée selon laquelle : « le préjudice s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale ».

Cette formule vient encore d’être rappelée récemment par un autre arrêt de la Chambre commerciale du 15 janvier 2020 n°17-27778 (aff. Speed Rabbit Pizza / Domino’s Pizza France) qui censure une Cour d’appel pour avoir rejeté l’action en concurrence déloyale à défaut pour la demanderesse de caractériser le préjudice résultant du comportement fautif qu’elle imputait à son concurrent, à savoir consentir à ses franchisés des délais de paiement illicites ainsi que des prêts en méconnaissance du monopole bancaire.

La Cour d’appel ayant considéré que les pratiques dénoncées étaient bien réelles mais qu’il n’était pas démontré qu’elles avaient eu pour finalité d’évincer l’entreprise demanderesse et son réseau de franchisés.

La Cour de cassation casse cet arrêt pour défaut de base légale motif pris « qu’en se déterminant ainsi alors qu’il s’infère nécessairement un préjudice d’un acte de concurrence déloyale » de sorte que la Cour d’appel aurait dû rechercher si l’octroi de délais de paiements illicites et de prêts en méconnaissance du monopole bancaire n’avait pas eu pour effet d’avantager déloyalement les franchisés de ce réseau au détriment des franchisés de l’autre réseau concurrent et ainsi de porter atteinte à sa rentabilité et à son attractivité.

Par cette formule consacrée, adoptée également par les autres chambres de la haute juridiction (Cass 1ère chambre civile, arrêt du 10 avril 2019 n°18-13612), il est admis une présomption de préjudice induit du comportement prohibé et constitutif de concurrence déloyale.

Mais, encore faut-il pour respecter les règles de la responsabilité civile établir le lien de causalité entre le préjudice indemnisable et la faute nécessairement génératrice de ce préjudice.

Les préjudices occasionnés par une concurrence déloyale peuvent être divers : le gain manqué (lucrum cessans) et les pertes subies (damnum emergens) sont les plus couramment invoqués par la victime de ces agissements, mais il y aussi la désorganisation durable de l’entreprise ou encore la diminution ou la perte d’un avantage concurrentiel.

L’arrêt du 12 février 2020 est d’un apport important en matière de préjudice indemnisable résultant d’un comportement déloyal.

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, la concurrence déloyale invoquée résultait d’une pratique commerciale trompeuse à l’égard du public sur l’origine des produits, et la Cour d’appel de Paris (Pôle 5 chambre 1, arrêt du 19 septembre 2017) avait condamné l’auteur de la cette pratique à indemniser son concurrent en prenant notamment en considération les économies qui avaient pu être réalisées sur les coûts de fabrication des produits en Chine par rapport aux coûts résultant d’une fabrication en France.

La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir ainsi pris en considération « l’avantage concurrentiel indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d’affaires respectifs des parties affectés par ces actes ».

Comme le souligne la Haute juridiction, les effets préjudiciables de certaines pratiques déloyales tendant à détourner ou s’approprier la clientèle du concurrent ou à le désorganiser sont aisément démontrables, en ce qu’elles induisent des conséquences économiques négatives pour la victime (manque à gagner ou perte subie) alors que les pratiques consistant à parasiter les efforts et investissements intellectuels, matériels ou promotionnels d’un concurrent ou visant encore à s’affranchir d’une réglementation dont le respect à nécessairement un coût induisent un avantage concurrentiel indu difficilement quantifiable de la part de la victime, avec les éléments de preuves disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu.

Dans ce dernier cas, la Cour de cassation admet que la réparation du préjudice puisse être évaluée en prenant notamment en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur de la pratique déloyale.

Cette évolution jurisprudentielle est importante car trop souvent l’approche par les tribunaux du préjudice indemnisable du fait d’une concurrence déloyale est très restrictive et n’est souvent pas à la hauteur des enjeux économiques qui ont occasionnés ces pratiques déloyales.

Bruno Martin

Avocat associé

bmartin@courtois-lebel.com

Cour de cassation arrêt du 12 février 2020 n°17-31614