Dénoncer des faits de discrimination ou de harcèlement moral n’est pas un motif de licenciement… sauf mauvaise foi

Si le salarié est protégé lorsqu’il dénonce des faits de discrimination ou de harcèlement moral ou sexuel, il ne l’est plus lorsque les faits dénoncés ne sont pas avérés et que le salarié a conscience du caractère fallacieux de ses accusations. C’est ce que vient de juger la Cour de cassation dans un arrêt du 13 janvier 2021 (Soc. 13 janvier 2021, n°19-21.138) .

En effet, rappelons qu’aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements de discrimination ou pour les avoir relatés (C.trav. art. L. 1132-3). Toute disposition ou tout acte pris à l’égard d’un salarié en méconnaissance de l’article précité est nul. Dès lors, le salarié qui relate des faits de discrimination ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.

Dans l’arrêt précité, un salarié avait saisi le Conseil de prud’hommes pour contester son licenciement pour faute grave, après avoir accusé son employeur de discrimination en raison de son origine. Selon son employeur, ces accusations étaient dépourvues de tout fondement et le salarié avait selon lui, parfaitement conscience de leur caractère fallacieux. Après avoir retenu que la discrimination alléguée n'était pas établie, la Cour d'appel a déduit de ses constatations que le salarié connaissait la fausseté des faits qu'il avait dénoncés et l’a donc débouté de toutes ses demandes

Saisie par le salarié, la Cour de cassation a rejeté son pourvoi et posé le principe que « le salarié qui relate des faits de discrimination ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu'il dénonce et non de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ».

La Cour de cassation avait déjà retenu cette solution dans des affaires de harcèlement moral ou sexuel. Encore très récemment, elle a jugé que « le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce » (Cass. soc., 16 septembre 2020, pourvoi n° 18-26.696). Dans ce cas précis, le salarié avait adressé à sa direction une lettre dans laquelle il se disait dans une situation proche du harcèlement et avait ensuite réitéré ces accusations, malgré de nombreuses explications et propositions de rencontres de la part de son employeur, refusées par le salarié. Dans l’impasse, l’employeur l’avait finalement licencié et le salarié avait saisi la juridiction prud’homale en invoquant l’article L. 1152-2 du Code du travail aux termes duquel « aucun salarié ne peut être licencié pour avoir témoigné ou pour avoir relaté des faits de harcèlement moral ». La Cour d’appel lui avait donné tort, en concluant à la mauvaise foi, approuvée par la Cour de cassation qui a relevé que les juges du fond avaient bien « caractérisé la mauvaise foi du salarié dans la dénonciation des faits de harcèlement moral ».

De même, dans un arrêt du 6 juin 2012, les Hauts Magistrats avaient jugé que la mauvaise foi était caractérisée par le mensonge d’une salariée, c’est-à-dire sa connaissance de la fausseté des faits dénoncés, en considérant que : « la salariée avait dénoncé de façon mensongère des faits inexistants de harcèlement moral dans le but de déstabiliser l'entreprise et de se débarrasser du cadre responsable du département comptable » en qu’en conséquence, « la cour d'appel, caractérisant la mauvaise foi de la salariée au moment de la dénonciation des faits de harcèlement, a pu par ce seul motif décider que ces agissements rendaient impossible son maintien dans l'entreprise et constituaient une faute grave » (Cass. soc., 6 juin 2012, n° 10-28.345).

Cette solution est, pour la première fois, transposée en matière de dénonciation de discrimination. La jurisprudence identifie là encore deux conditions nécessaires pour que l’employeur puisse valablement licencier un salarié ayant dénoncé des faits de discrimination. Il faut tout d’abord que (i) les faits allégués soient faux, mais également (ii) établir la mauvaise foi du dénonciateur, celle-ci devant s’entendre comme la connaissance au moment de la dénonciation de la fausseté des faits qu’il dénonce. Si ces deux conditions sont réunies, alors le licenciement pour motif disciplinaire – le cas échéant, pour faute grave – est permis. Néanmoins l’employeur va se heurter à la présomption de bonne foi, qui est un principe du droit civil. Si l’exigence de bonne foi dans la dénonciation étant clairement énoncée dans le texte de l’article L. 1132-3-3, il n’en demeure pas moins que le régime probatoire reste défavorable à l’employeur.

Aurélie Kamali-Dolatabadi, Avocat associé

Marion Narran-Finkelstein, Avocat

Département Droit Social chez Courtois Lebel