Extension du champ d’application du déséquilibre significatif en droit des pratiques restrictives de concurrence

Par son arrêt du 15 janvier 2020, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé qu’ «au sens de [l’ancien article L. 442-6 I 2° du Code de commerce], le partenaire commercial est la partie avec laquelle l’autre partie s’engage, ou s’apprête à s’engager dans une relation commerciale » (Cass. Com. 15 janv. 2020 n°18-10.512 P.B.).

Ce faisant, la Haute cour met un frein à la jurisprudence antérieure des cours d’appel qui, s’appuyant sur le terme de « partenaire commercial » visé dans l’ancien article L. 442-6 I 2° du Code de commerce, avaient rétréci le champ matériel du déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties à une relation contractuelle, et jugé que cette infraction n’était caractérisée qu’en présence de véritables « partenaires commerciaux » , ce qui impliquait « un examen concret de la relation et de l’objet du contrat, qui doit s’inscrire dans la durée et être destiné à développer l’activité des parties » (CEPC avis n°15-01) (v. not. CA Versailles 7 oct. 2004 n°03/02078 ; CA Nancy 17 fév. 2013 n°12/00378).

En l’espèce, il s’agissait d’une société ayant pour activité la création de sites internet qui proposait à sa clientèle professionnelle des contrats de mise à disposition, d’une durée de 48 mois renouvelable par tacite reconduction, qu’elle cédait ensuite à des loueurs financiers chargés de percevoir périodiquement les sommes dues par les clients.

Le Ministre de l’Economie avait initié une action à l’encontre de cette société dans le but d’obtenir, entre autres, sur le fondement du déséquilibre significatif dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance de 24 avril 2019, la nullité de plusieurs clauses contractuelles contenues dans ces contrats et relatives notamment aux modalités de résiliation et aux conditions d’engagement de la responsabilité contractuelle des bailleurs.

Pour rejeter l’action du Ministre de l’Economie, la Cour d’appel de Paris (CA Paris 27 sept. 2017 n°16/00671) avait notamment considéré que le partenaire commercial, au sens du texte en cause, devrait être entendu comme « le professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour conduire une activité quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d’effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services », par opposition à la notion « plus large d’agent économique ou plus étroite de cocontractant ». La Cour d’appel de Paris reprenait ainsi quasiment à l’identique la définition du partenaire commercial proposée par la CEPC dans un avis du 16 mai 2012 (CEPC avis n°12-07).

En censurant la Cour d’appel de Paris au motif qu’elle aurait « ajout[é] à la loi des conditions qu’elle ne comporte pas », la Cour de cassation autorise désormais l’application de l’article L. 442-6 I 2° du Code de commerce à toute relation contractuelle, quelle qu'en soit la durée ou la finalité.

Elle aligne en outre la notion de « partenaire commercial » de l’ancien article L. 442-6 I 2° avec celle d’« autre partie » désormais contenue dans le nouvel article L.442-1 I 2° du Code de commerce. Ce nouveau texte n’étant applicable qu’aux contrats conclus après le 26 avril 2019, cet alignement des notions permettra une application uniforme du déséquilibre significatif ainsi qu’un élargissement de son champ d’application, conformément à la volonté exprimée par les rédacteurs de l’ordonnance du 24 avril 2019 (Rapp. au président de la République relatif à l'ordonnance no 2019-359 du 24 avril 2019).

 

Marie Teuma - Avocat à la Cour