Le secret des affaires devant l’ADLC

La protection du secret des affaires impose au Rapporteur général de motiver sa décision lorsqu’il est appelé à déclassifier des informations et documents pour les rendre accessibles à toutes les parties à la procédure.

Par un arrêt n°18-11.725 du 29 janvier 2020, la Chambre commerciale de la Cour de cassation renforce la protection du secret des affaires dont peuvent bénéficier les parties à une procédure devant l’Autorité de la Concurrence (ADLC) en imposant au Rapporteur général de motiver précisément sa décision de lever cette protection.

Dans le cadre d’une procédure devant l’ADLC les parties peuvent demander la protection du secret des affaires à l’égard des éléments saisis lors de l’enquête ou de ceux qu’elles sont amenées à communiquer en cours d’instruction à l’appui de leur défense.

Lorsque le rapporteur décide de faire droit à la demande de protection, les informations ou documents considérés sont alors l’objet d’un traitement confidentiel et ne sont pas accessibles aux autres parties visées par la procédure.

Parfois, pour les besoins de la procédure ou encore pour l’exercice des droits de la défense des autres parties, le Rapporteur général peut être amené à décider de la levée de la protection du secret des affaires à l’égard de certaines informations ou documents.

Dans l’affaire portée devant la Cour de cassation, le Rapporteur général a décidé de rendre accessible à toutes les parties à la procédure des documents qui étaient l’objet d’une précédente décision de traitement confidentiel.

L’entreprise qui avait bénéficié de la protection du secret des affaires a contesté cette décision car le Rapporteur ne précisait pas la raison pour laquelle il était nécessaire que les autres parties à la procédure puissent avoir accès à ces documents et informations, se contentant d’indiquer lapidairement qu’elles devaient en prendre connaissance.

Le délégataire du Premier Président de la Cour d’appel de Paris a rendu une ordonnance le 31 janvier 2018 (RG n°17/22364) confirmant la décision de déclassement du Rapporteur en considérant que les textes applicables (notamment l’article R.463-15 du code de commerce) n’imposaient pas au Rapporteur de rendre une décision spécialement motivée compte tenu du débat contradictoire qui avait précédé la décision.

Le Président de la Cour considérant également que la levée du secret des affaires était nécessaire pour les débats devant l’Autorité afin de caractériser ou non une pratique anticoncurrentielle.

La cassation est prononcée pour défaut de base légale au double visa des articles L.463-4 et R.463-15 du code de commerce,

La Cour de cassation critique doublement la décision du Premier Président de la Cour d’appel de Paris.

D’abord, en ce qu’il a considéré que le Rapporteur général n’avait pas d’obligation de motiver spécialement sa décision de lever le secret des affaires au regard des dispositions de l’article R.463-15 du code de commerce.

Ensuite, en ce qu’il s’est abstenu d’expliquer en quoi il était nécessaire pour les besoins des débats devant l’Autorité (qui a de toute façon accès à l’intégralité des informations et documents même lorsqu’ils sont l’objet d’une mesure de confidentialité) que les autres parties à la procédure puissent avoir également accès à ces informations relevant du secret des affaires.

Cette décision doit être saluée à un double titre.

D’une part, parce qu’elle renforce la protection du secret des affaires devant l’ADLC, qui est souvent essentiel pour les parties à la procédure compte tenu de la présence de leurs principaux concurrents, et dont la préservation peut être déterminante quant à leur stratégie de défense voir même quant à leur participation à la manifestation de la vérité.

D’autre part, parce qu’elle renforce de manière plus générale les droits des parties devant l’ADLC en obligeant le Rapporteur général à motiver ses décisions sur le plan procédural.

Le Rapporteur général ne peut rendre une décision préjudiciable aux intérêts d’une partie en se contentant d’une motivation générale et lapidaire mais il doit expliquer concrètement en quoi il est nécessaire de lever la protection conférée aux informations et documents à l’égard des autres parties à la procédure.

Il faut aussi espérer que cette décision n’aura pas un effet négatif sur les demandes des parties qui souhaitent bénéficier de la protection du secret des affaires car le Rapporteur pourrait être tenté, en considération de cette obligation de motivation spéciale pour la levée de la protection, de restreindre encore plus l’octroi d’une telle mesure.

Bruno Martin, Avocat associé

Département Concurrence et Distribution chez Courtois Lebel

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