Rupture conventionnelle : actualités 2020 et 2021

Renforcement des obligations de l’employeur sur les conditions de validité de la rupture conventionnelle

L'employeur et le salarié peuvent décider d’un commun accord de rompre le contrat de travail à durée indéterminée, par le biais d’une rupture conventionnelle soumise à une homologation administrative.

Les conditions de la rupture sont définies par la convention de rupture, notamment le montant de l’indemnité spécifique de rupture, la date de fin de contrat. La loi exige uniquement que le montant minimum de cette indemnité corresponde au montant de l’indemnité conventionnelle ou légale de licenciement. Le formalisme initial prévu par la loi, se voulait simple dans la mesure où les parties étaient d’accord pour mettre un terme à leur relation contractuelle.

Néanmoins, comme tout contrat, la rupture conventionnelle doit garantir la liberté de consentement des parties et ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties. Dès lors, la fraude, le vice du consentement (Cass. Soc., 23 janvier 2019, n°17-21.550) ou encore le non-respect des formalités requises étant de nature à compromettre l’intégrité de consentement du salarié, entraînent la nullité de la convention.

Par deux arrêts récents, rendus dans des « domaines » différents de la rupture conventionnelle, la Chambre sociale de la Cour de cassation a complété sa jurisprudence en renforçant les obligations de l’employeur en matière de preuve du consentement du salarié, non prévues initialement par la loi.  

 

1. La protection du droit de rétractation du salarié

Par un arrêt du 23 septembre 2020 (Cass. soc. 23 septembre 2020 n° 18-25.770 FS-PB, Sté Vaillant couverture c/ B.), la Cour de cassation est venue ajouter une modalité non prévue par la loi, en jugeant que c’est à l’employeur de prouver qu’il a remis un exemplaire de la rupture conventionnelle au salarié.

En effet, les articles L. 1237-11 et L. 1237-14 du Code du travail prévoient que la convention de rupture doit être signée entre les deux parties et transmise à la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). Néanmoins ils n’imposent pas que chacune des parties dispose d’un exemplaire de la convention conclue. La Haute Cour était déjà venue ajouter des conditions non expressément prévues par la loi, en jugeant que l’employeur devait remettre au salarié, à peine de nullité, un exemplaire signé par les parties de la convention de rupture (Cass. soc., 6 février 2013, n°11-27.000).

En effet, la remise de cet exemplaire ne se présumant pas, il appartenait au juge de constater qu'un exemplaire avait bien été remis au salarié (Cass. soc. 3 juillet 2019 n° 18-14.414). Pour la Cour de cassation, cela permettait aux deux parties de demander l’homologation de la convention et de pouvoir exercer en connaissance de cause leur droit de rétractation.

Dans l’arrêt du 23 septembre 2020, la Cour de cassation va encore plus loin dans son raisonnement, puisqu’elle renverse la charge de la preuve pour la faire peser sur l’employeur, à qui il appartient désormais de prouver, par tout moyen, qu’il a bien remis son exemplaire au salarié. Il est donc désormais recommandé d’ajouter une mention manuscrite expresse apposée par le salarié sur la convention de rupture, précisant qu’elle lui a bien été remise en main propre , ou de lui faire signer un récépissé de remise du formulaire.

 

2. Rupture conventionnelle et préparation d’un plan de sauvegarde de l’emploi

Un arrêt encore plus récent de la Chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc. 6 janvier 2021 n°19-18.549 F-D, Sté Lotoise d’évaporation c/ K.) impose désormais à l’employeur d’être extrêmement vigilant lors de la signature de ruptures conventionnelles durant la préparation d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), y compris lorsque le salarié est à l’initiative de la demande de rupture.

Si l’existence de difficultés économiques dans l’entreprise et la mise en place d’un PSE ne sont pas incompatibles avec la conclusion d’une rupture conventionnelle, les juridictions veillent néanmoins à ce qu’il n’y ait pas de fraude et surtout que l’employeur ne dissimule pas une information déterminante pour le consentement du salarié à la rupture et ses modalités.

Dans cet arrêt, un salarié, qui avait pour projet de créer son entreprise, avait signé une rupture conventionnelle avec son employeur, puis avait appris par la suite qu’une procédure de licenciements économiques collectifs avait été engagée dans les deux mois suivant la rupture de son contrat de travail. Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande d’annulation de la rupture pour vice du consentement, en soutenant que l’employeur savait, au moment de la rupture de son contrat, que le plan de sauvegarde de l’emploi prévoyait la suppression de son poste. Or, si le salarié avait été inclus dans le PSE, il aurait pu bénéficier d’un congé de reclassement ainsi que d’autres mesures prévues par le plan de sauvegarde, comme, notamment, les aides à la création d’entreprise.

La Cour de cassation s’en est remise à l’appréciation souveraine des juges du fond concernant les éléments de preuve produits par les parties. Ce faisant, elle a retenu que l’employeur avait dissimulé au salarié la préparation d’un PSE qui prévoyait la suppression de son poste, au moment où ils concluaient la rupture conventionnelle. Le silence de l’employeur peut donc constituer un dol, au sens de l’article 1137 du Code civil, c’est-à-dire le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. En effet, la société connaissait des difficultés économiques depuis plusieurs années et les compte-rendus des réunions du comité d’entreprise démontraient qu’une mission d’audit avait été confiée à un cabinet externe et conclu à la nécessité de restructurations. La Cour a donc jugé que le salarié n’aurait pas signé la rupture conventionnelle s’il avait été informé de l’existence de ce PSE et a donc confirmé l’annulation de la rupture prononcée par les juges du fond.

La circulaire DGT n°2009-04 du 17 mars 2009 précisait déjà que la procédure particulière de la rupture conventionnelle était « destinée à garantir la liberté du consentement des parties ». La Cour de cassation avait, en outre, régulièrement rappelé les limites à la liberté de conclusions d’une telle convention, c’est-à-dire la fraude et le vice du consentement. Elle rend donc une solution fidèle à sa jurisprudence de ces dernières années, qui a fait de la liberté de consentement le principe fondamental de la rupture conventionnelle (Cass. Soc., 23 janvier 2019, n°17-21.550). Autant il  apparaît légitime que le consentement du salarié soit vicié dans un contexte de harcèlement moral (Cass. soc. 28 janvier 2016 n° 14-10.308) ; de menaces ou de pressions (Cass. soc. 23 mai 2013 n° 12-13.865), ou de manière générale lorsque le salarié n’a pas eu d’autre alternative que de signer la rupture conventionnelle ou d'être licencié (Cass. soc. 16 septembre 2015 n° 14-13.830). Cependant, dans le cas d’espèce, il est reproché à l’employeur d’avoir dissimulé une information qui aurait pu être déterminante pour le salarié, alors même qu’il avait sollicité la rupture de son contrat de travail pour  créer son entreprise.

 

Aurélie Kamali-Dolatabadi, Avocat associé

Marion Narran-Finkelstein, Avocat

Département Droit Social chez Courtois Lebel